Au premier regard, quel charmant tableau... Élégance, légèreté, ... frivolité ? Comme si la frivolité, la bagatelle et les fanfreluches n'étaient le propre que de la femme ! Hélas une jolie demoiselle aux parures de papillon ne peut être prise au sérieux, toute charmante et jolie qu'elle soit. Surtout jolie ! Et même gentille... surtout gentille ! Bien faite et bien mise, elle ne peut être qu'être enjôleuse, aguicheuse, pire : allumeuse ! De là à la gueuse, il n'y a qu'un pas de rime en "euse" vite franchi, même et encore en notre siècle si éloigné de Fragonard.
Certes ici, au XVIIIème siècle, on exalte la coquetterie de la femme d'une certaine classe... Mais c'est un faux hommage et la classe ne fait rien à l'affaire : tout ça est si léger, la femme comme l'idylle, que ça ne peut être pris au sérieux. Ainsi va le destin des femmes, souvent mises sur un piédestal pour de mauvaises raisons, et reléguées dans l'ombre pour de mauvaises raisons aussi...
Alors puisque vivre dans la lumière pour une femme est comme la vie du papillon, il faut célébrer chaque instant pailleté du temps où l'on brille, quitte à se brûler les ailes, naïve ou fausse naïve qui s'obstine à ignorer que ce sont les parures de la jeunesse et de la beauté qui sont adulées, mais souvent pas davantage... L'ombre et l'oubli viendront bien assez tôt, alors on virevolte !
... Seizième siècle, dans son Ode, Pierre de Ronsard avertissait Cassandre...
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Histoire du tableau Les Hasards heureux de l'escarpolette
En 1767, un baron, Monsieur de Saint-Julien, veut faire peindre sa maîtresse par Fragonard. C'est une commande spécifique, car le baron donne, en ces termes, des directives précises au peintre (au passage, on appréciera cet usage délicieux de l'imparfait du subjonctif, hélas en voie de disparition) :
" Je désirerois que vous peignissiez madame sur une escarpolette qu’un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant, et mieux même si vous voulez égayer davantage votre tableau... "
... "et mieux même si vous voulez égayer davantage votre tableau..." Le ton était donné !
Toutefois qu'un évêque figure sur un tel tableau chiffonne Fragonard qui n'a pas envie de voir sa carrière compromise ! Ce "détail", certes piquant, risquerait d'être perçu à juste titre comme une attaque envers le clergé ! Alors Fragonard persuade le baron de Saint-Julien de remplacer l'évêque par un vieux mari. Et comme il a l'air niais et presque béat, le cocu, lui qui met en mouvement l'escarpolette, presque comme on tiendrait la chandelle ! Si c'est moins caustique, n'est-ce pas encore plus grivoisement savoureux, au regard de l'amant à l'oeil concupiscent allongé dans une pose nonchalante ?
Le tableau Les Hasards heureux de l'escarpolette est une œuvre réputée du Rococco Fragonard... Tant de légèreté, de préciosité et de joliesse... mais quel carcan pour la femme cette surenchère de séduction inconsistante !
Et pourtant que j'aime la mule qui s'envole dans les airs sous l'oeil presque navré de l'angelot qui ne doit être autre qu'Eros... C'est presque comme un bonnet qu'on jette par-dessus les moulins ! Et comme Barbara j'ai envie de chanter : "Moi, je m'balance..."... sans souci du "qu'en-dira-t-on" !
Parce que je ne suis pas à un paradoxe près.
— Viviane Caroline SZ, le 30 octobre 2021
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